MÉTHODE DE LA TANGENTE À LA COURBE DE NIVEAU

Par Claude Beaudevin

Pour commencer, un petit historique n'est pas inutile.

C'est en mars 1970,au cours d'un raid à skis du col de Tende au col de Larche, sous le Pas du Mont Colomb, que m'est venue la première idée de cette méthode.
Au fil des raids et des randos, je l'ai mise en forme et j'ai publié un premier article sur le sujet, dans le numéro de janvier 1976 de La Montagne et Alpinisme, la revue du Club Alpin Français.
L'accueil a été favorable, et c'est avec plaisir que j'ai pu lire l'année suivante, toujours dans la même revue, un article de Claude Rey où il décrivait une application de ma méthode à la traversée du Pigne d'Arolla.

L'avènement du GPS a, dans un premier temps, quelque peu fait négliger la pratique de l'orientation par les méthodes classiques.
Mais il est toujours bon d'avoir plusieurs cordes à son arc, c'est pourquoi j'ai pensé qu'il n'était pas inutile d'écrire ces quelques lignes.


Cette méthode est la seule - GPS mis à part - qui permette de se situer sans aucune visibilité, à condition de disposer d'un altimètre, d'une boussole et d'une règle Cras (ou d'un rapporteur).

Tout d'abord, l'altimètre permet de savoir sur quelle courbe de niveau on se trouve (ici, à l'altitude 2000); puis on mesure sur le terrain l'orientation de cette courbe, son azimut. On se reporte alors à la carte et l'on cherche en quel point de cette courbe de niveau il est possible de tracer une tangente orientée selon cet azimut.
Si, par exemple, cet azimut est de 50°, on se trouvera au point B.


La méthode est plus ou moins précise selon le rayon de courbure des courbes de niveau, mais elle est la seule que l'on puisse appliquer pratiquement dans tous les cas, pour peu que l'on ait déjà une idée approximative de la zone dans laquelle on se trouve. On voit donc l'intérêt de conserver un point à l'estime entre deux points effectués par la méthode de la tangente.

Comment, en pratique, déterminer sur le terrain l'azimut de la courbe de niveau, c'est-à-dire l'orientation de l'horizontale au point où l'on se trouve ?
En hiver, on peut mettre ses skis horizontaux et mesurer leur direction à l'aide de la boussole. Solution rapide, certes, mais peu précise car l'horizontalité d'un ski n'est pas facile à apprécier ; de plus, on risque de se laisser abuser par le microrelief, petites ondulations du terrain non discernables dans le brouillard. C'est cependant la seule solution utilisable si l'on est seul.
Une meilleure méthode consiste à envoyer un camarade au même niveau que soi (à une dizaine de mètres, par exemple), puis à relever son azimut. On est alors moins tributaire du microrelief, mais l'opération est plus longue. Le choix entre les deux méthodes dépend surtout de l'importance du microrelief. Avec un peu de pratique, l'opération peut d'ailleurs être effectuée sans interrompre la marche.
Pour tracer la tangente - au moins par la pensée -, on déplacera sur la carte la règle Cras (ou, à défaut, le rapporteur ou, à l'extrême rigueur, la boussole à plaquette utilisée comme rapporteur - on sait que je ne suis pas partisan de ce type de boussoles, avec lesquelles il pratiquement impossible d'effectuer des visées ), en conservant l'azimut mesuré, jusqu'à trouver en quel point de la courbe de niveau la règle lui est tangente : c'est l'endroit où l'on se trouve.

Pour pouvoir reporter l'azimut sur la carte, il faut, bien entendu, que celle-ci soit carroyée.

Un mathématicien objecterait que le contact d'une courbe avec sa tangente est mal défini. Certes, surtout si le rayon de courbure est grand. À la limite, cette méthode ne permet donc pas, évidemment, de se situer sur une courbe de niveau rectiligne.
À cela, deux remèdes :
- choisir son itinéraire pour éviter les zones où les courbes de niveau ont un trop grand rayon de courbure ;
- se déplacer pour rechercher un terrain plus favorable à l'emploi de la méthode.

Chacun des points réalisés par la méthode de la tangente n'est pas très précis, mais on peut, au cours de la progression, en effectuer plusieurs à la suite, ce qui compense ce défaut. En quelque sorte, il s'agit d'une méthode dynamique.

Sur un terrain très peu incliné, c'est la détermination de l'altitude, donc de la courbe de niveau qui pose problème : une petite variation dans les indications de l'altimètre entraîne une grosse erreur de distance.
Pour pallier cette source d'erreur, on évitera ces zones peu pentues ou, si c'est impossible, on les traversera en conservant un angle de marche constant jusqu'à un terrain plus propice.

La méthode de la tangente est donc peu adaptée à la traversée des Hauts Plateaux du Vercors ou à un raid en Laponie, par exemple. Mais, de tels terrains se rencontrent rarement dans nos Alpes.

L'influence du microrelief reste faible si l'on effectue des points assez rapprochés lors de la progression. Un point peut être entaché d'une erreur, mais il serait étonnant que le point suivant présente une erreur dans le même sens.
L'altimètre joue ici un rôle essentiel. Il est donc primordial de le caler aussi souvent que possible, avant l'arrivée du brouillard.
La méthode de la tangente ne requiert d'ailleurs pas une très grande précision dans la mesure de l'azimut : une erreur de 1° est parfaitement admissible.

Voici un cas dans lequel, à première vue, subsiste une indétermination : l'azimut de la courbe de niveau 2000 m est 25°, mais une hésitation semble possible : " suis-je en A ou en B ? ". La réponse est facile, car en A votre jambe droite est plus haute que la gauche, alors que c'est l'inverse en B. Aucune difficulté pour trancher !

Cependant, il arrive parfois que deux points de la carte répondent aux conditions posées : mêmes altitudes et directions. Ce cas se rencontre surtout si l'on a progressé un certain temps sans faire le point.
Dans ce cas, il faut lever l'indétermination en recherchant dans les environs immédiats un détail du terrain, une forme de relief par exemple, qui soit différent pour chacun des deux points. On ira le contrôler et le doute sera levé.
En général, d'ailleurs, l'ambiguïté sur la position disparaît d'elle-même dans la suite de la progression.

Pour conclure, marcher à la tangente, c'est progresser boussole en main, ne faire qu'un avec le terrain, ressentir, tout au long de la progression, chaque inflexion de son modelé.
Avec un peu de pratique, on n'aura pas à appliquer le B.A.BA décrit ci-dessus : il suffira le plus souvent de marcher en second, à 10 ou 20 m du premier et en relevant très fréquemment son azimut.
On en déduira très facilement celui des courbes de niveau et il sera ainsi facile de suivre sa progression sur la carte.




On trouvera plusieurs applications pratiques de la méthode - en particulier celle du Pas du Mont Colomb - ainsi que d'autres considérations sur l'orientation en montagne dans le Manuel de la Montagne du Club Alpin Français, paru aux Éditions du Seuil.

Claude Beaudevin